B2 – Agitation

B2 – Agitation

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Ce terme nous permet d’entrer dans la réflexion par des comportements. Nous nous intéressons aux situations dans lesquelles des comportements sont identifiés comme une activité excessive ou incontrôlée.

 

Dans l’élaboration de la recherche SAGE et la mise en œuvre des enquêtes, le mot « agitation » nous a permis de ne pas entrer par une catégorie diagnostique. Le paysage français de la pédopsychiatrie est marqué par des transformations rapides et des controverses sur la manière de qualifier, de comprendre et de traiter ce type de problèmes (controverses autour de la diffusion du diagnostic de TDA/H, opposition entre approches psychodynamiques et comportementalistes…). Dans ce contexte, le terme « agitation » a été utile à plusieurs niveaux. D’abord pour construire une posture sociologique analytique. Il s’est agi pour nous de ne pas prendre parti pour l’une ou l’autre approche professionnelle, de ne pas imposer une qualification ou une interprétation, mais de donner à voir la manière dont les comportements perturbants des enfants sont nommés, pensés et traités sur différentes scènes et dans différents contextes. Ensuite pour circuler sur le terrain. Le terme agitation – désignant un symptôme, qui peut être compris et traité de différentes manières – nous a permis d’échanger et de solliciter une enquête de terrain aussi bien auprès des thérapeutes comportementalistes qu’auprès des psychanalystes.

Dans l’analyse des données, le terme « agitation » nous permet d’explorer les significations qui circulent autour de ces comportements problématiques. Il permet d’insister sur les réactions sociales, sur le travail de qualification mené par les acteurs. Par qui ces comportements sont-ils relevés, définis comme problématiques ? Comment et dans quels contextes se manifestent-ils ? Comment sont-ils pensés et nommés ? Nous nous sommes demandé plus particulièrement : comment, à partir de comportements ou de situations proches, peuvent se cristalliser des manières différentes de penser ces comportements et d’y répondre ?

Utiliser le terme d’agitation nous a permis de mettre en relief certaines tensions caractéristiques de ces univers sémantiques. Tout d’abord, dans les conceptions (des professionnels du soin, de l’école, des parents), on trouve une tension récurrente, ou une ambivalence, entre l’idée que l’enfant est acteur/responsable/moteur et l’idée que l’enfant subit, n’a pas le contrôle, est influençable, vulnérable aux sollicitations, aux mauvais exemples ou à l’agressivité des autres. En d’autres termes, tantôt l’enfant s’agite (voire agite les autres, un groupe, un lieu), tantôt il est agité (quelque chose l’agite). La même ambivalence est présente lorsque les mêmes enfants sont décrits d’un côté comme « explosés », de l’autre comme « faisant exploser » la classe, l’école, leur famille – ou bien lorsque des enfants sont décrits à la fois comme « perturbants » et « perturbés ».

Une deuxième tension autour de ces situations, que le terme d’agitation exprime bien, est que les regards peuvent se porter sur un individu (un enfant ou un adolescent qui pose problème), ou bien sur une situation plus globale, sur un ensemble individu/environnement indissociable. « Agité » peut qualifier un enfant ou bien un groupe. Les professionnels tantôt décrivent un enfant et ses comportements en l’isolant du contexte, tantôt le situent dans son groupe familial (un enfant qui est explosé mais qui en fait « va plutôt bien » si l’on considère ce qui se passe dans sa famille), tantôt réfléchissent sur la composition des groupes thérapeutiques, sur la dynamique d’ensemble, sur le caractère plus ou moins « explosif » d’un groupe. On observe des balancements de ce type également dans les discours des parents. Dans nos analyses, nous avons essayé de raisonner en termes de configuration, comme y invite Norbert Elias (1991), de ne pas séparer « individu » et « environnement ». Ce faisant, nous avons prêté attention aux variations des regards des acteurs. Quelle est l’étendue de la configuration que les acteurs envisagent, à quels moments isolent-ils des unités individuelles, à quels moments font-ils référence au « contexte » et de quelle manière ?