B2 – Potentiel caché

B2 – Potentiel caché

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Expression proposée par Alain Ehrenberg (2018) pour désigner un idéal qui s’est développé dans nos sociétés imprégnées de la norme d’autonomie : l’idéal d’un individu capable de connaitre des accomplissements en transformant ses handicaps en atout. Ehrenberg pointe plus spécifiquement l’idée que les personnes identifiées comme handicapées ou malades mentales sont désormais considérées comme des individus capables de s’accomplir, non pas seulement malgré le mal qui les atteint, mais aussi grâce à ce mal. Il analyse l’émergence de figures positives, par exemple celle de l’autiste de haut niveau, vu comme un individu doué de particularités qui sont à la fois des handicaps et des atouts exceptionnels. Ehrenberg montre que cet idéal a trouvé un appui dans les développements des neurosciences cognitives qui favorisent une identification de l’individu à son cerveau (un cerveau unique qui définit les capacités de l’individu) et mettent au centre l’hypothèse de la plasticité cérébrale (l’individu peut trouver dans son cerveau des ressources pour se transformer et augmenter sa valeur).

 

Dans nos enquêtes, cette idée de potentiel caché correspond à une des représentations du TDA/H, une manière dont certaines personnes diagnostiquées TDA/H et certaines personnes de leur entourage vivent ce trouble. Certains expriment en effet l’idée que les personnes diagnostiquées TDA/H sont douées de capacités exceptionnelles. Nous avons pu identifier plusieurs registres dans lesquelles ces capacités exceptionnelles sont pensées : le registre de la performance (rapidité, capacité à faire plusieurs choses simultanément, performance intellectuelle…), le registre de la créativité (individu brillant, inventif…), le registre du charisme (capacité à entraîner les autres, à être chef…), le registre de la sociabilité (individu brillant en société, doté d’une « acuité » des relations humaines…). On peut observer la manière dont ces registres sont déclinés, attribués, investis par les personnes, de manières différenciées notamment selon le genre.

 

Il est intéressant également de s’interroger sur ce qui cache le potentiel. Les personnes enquêtées ressentent fortement le fait que ces capacités sont souvent masquées, difficiles à reconnaitre et à faire reconnaitre dans la vie ordinaire : par exemple parce l’entourage est intolérant aux manifestations motrices de l’hyperactivité, ou parce que la société est inadaptée à l’expression de ces capacités hors-normes (l’enfant qui perturbe la crèche parce qu’il comprend trop vite les règles du jeu), ou encore parce que la personne du fait de ses capacités n’arrive pas à entrer dans le jeu social ordinaire (le cas de parents qui décrivent leur enfant comme ne supportant de se plier aux règles posées par des personnes qu’il perçoit comme médiocres). La période de la scolarité est souvent vécue comme particulièrement difficile, mais avec l’espoir que plus tard au cours de la vie adulte, il serait possible de trouver des contextes (par exemple certains métiers) qui permettraient à ces particularités de s’exprimer, de ne pas être gênantes, d’être reconnues.

 

Cependant, il apparait dans nos enquêtes que, parmi les personnes diagnostiquées et leurs proches, toutes ne vivent pas le TDA/H selon cette perspective du potentiel caché. Cela nous invite à réfléchir aux liens que font les personnes entre ce qu’elles sont vraiment (ce qu’elles se représentent comme leur vraie personnalité), ce qu’elles montrent à l’extérieur (leurs comportements) et les qualifications médicales (le trouble dont elles sont affectées). Les liens établis entre ces trois dimensions sont variables d’une personne à l’autre : par exemple certaines pensent que l’hyperactivité fait partie de leur personnalité ; d’autres considèrent que c’est un trouble, qui produit des comportements irrépressibles et empêche leur véritable personnalité de s’exprimer. Les perceptions des effets des traitements médicamenteux sont prises dans ces représentations (certains pensent que le médicament calme leur agitation mais altère leur personnalité, d’autres que le médicament leur permet de se révéler).

 

L’idéal du potentiel caché apparait donc comme une des manières possibles de vivre et de percevoir le TDA/H, parmi d’autres : d’autres personnes vivent le TDA/H avant tout comme un déficit, ou bien comme une perturbation qui serait à supprimer, à normaliser. Une piste de réflexion émerge alors : quelles sont les configurations et conditions (sociales, familiales, rapports de genre…) qui favorisent cette pensée en termes de potentiel caché, ou orientent vers d’autres catégories de perception du TDA/H (en terme de déficit, de comportement perturbateur…) ?